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Le blog Citoyen

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POST TENEBRAS LUX


«Voyage au cœur du despotisme monarchique» (d’après Sir Thomas More!)

Publié par Karim R'Bati sur 10 Octobre 2011, 17:01pm

Catégories : #ANTHOLOGIE POLITIQUE

«Toute ressemblance avec des personnes ou des événements réels n’est que pure coïncidence» et pourtant … Dans la série des textes fondamentaux que le laborieux exercice d’appropriation de notre pleine citoyenneté nous exige de lire ou de relire, figure ce fragment extrait de L’Utopie (1516) de Thomas More. Un texte d’une pertinence inouïe, qui jette une lumière frontale et sans concession sur cette malédiction absolue qu’est le despotisme héréditaire; à tel point qu’on aurait cru que le vénérable Sir Thomas Morus aurait puisé ses observations à l'occasion d’un séjour au sérail du médiéval sultanat chérifien. Mais L’Utopie reste avant tout une fiction politique où l'auteur confie à l'explorateur Raphaël Hythlodée, personnage fictif,  le soin de narrer son séjour en Utopie ou l’Ile de Nulle Part: sorte de république idéale où règnent la paix, la justice, la liberté de conscience, une éthique républicaine et le bonheur. Autant dire un «traité de la meilleure forme de gouvernement», comme l’indique le sous- titre de la version française du livre. Précédant le livre second, consacré au récit de l'aventure de Raphaël Hythlodée au pays des Utopiens, le fragment çi- après appartient au livre premier et, telle une image négative  aux couleurs inversées, il traite essentiellement des travers du despotisme tel qu'il existe en Dystopie, c'est-à dire dans notre monde - l'antithèse même du monde idéal où vit le bienheureux peuple utopien.» (Karim R’bati) 

« Tandis qu’une question claire comme le jour est discutée de la sorte par les juges aux opinions divergentes et que la vérité est mise en doute, une perche est tendue au roi pour lui permettre d’interpréter le droit à son avantage personnel. Les autres acquiesceront par embarras ou par crainte, et le tribunal enfin prononcera la sentence sans hésitation. Car celui qui décide en faveur du prince se sent toujours couvert, puisqu’il suffit d’alléguer, ou bien la lettre de la loi, ou bien quelques textes habilement interprétés ou, à défaut de tout cela, ce qui pèse plus lourd que toutes les lois du monde dans l’esprit de ces hommes scrupuleux, l’indiscutable privilège royal. 
Et tous seront d’accord pour dire avec Crésus qu’aucun trésor n’est plus abondant pour un prince qui doit nourrir une armée; qu’un roi ne peut rien faire d’injuste alors même qu’il le voudrait, étant donné que tout ce que chacun possède est à lui et jusqu’aux personnes mêmes, un sujet en fait n’ayant de biens que ce que la générosité royale consent à lui laisser; et l’intérêt du prince exige que ce soit le moins possible, car il serait dangereux pour sa sûreté que l'argent et la liberté montassent à la tête du peuple, lequel dans ce cas supporterait plus difficilement une domination dure et injuste, tandis que l’indigence et la misère émoussent les courages, les rendent passifs, et enlèvent aux opprimés l’audace nécessaire pour se révolter […]
Quant à croire que la misère du peuple soit une garantie de sureté et de paix, l’exercice prouve assez que c’est la plus grande des erreurs. Où y a-t-il plus de bagarres que parmi les mendiants ? Qui est le plus empressé à bouleverser l’état des choses existants, sinon celui qui est mécontent de son lot ? Qui s’élance témérairement dans la voie de la révolution que celui qui n’a rien à perdre et qui espère gagner au changement ? Un roi qui serait méprisé et haï de son peuple au point de ne pouvoir tenir ses sujets en respect que par des rigueurs, des extorsions, des confiscations, un roi qui les réduirait à mendier, mieux vaudrait pour lui abdiquer tout d’un coup que d’user de procédés qui lui gardent peut- être la couronne, mais qui enlèvent sa grandeur, car la dignité royale consiste à régner sur des gens prospères et heureux, non sur des mendiants […] 
En effet, se trouver seul à vivre dans les plaisirs et les délices au milieu des gens qui tout autour gémissent et se plaignent, ce n’est pas être un roi, c’est être un gardien de prison. Enfin, c’est un bien mauvais médecin, celui qui ne sait guérir une maladie sinon en en infligeant une autre. Le roi de même qui ne parvient à garder ses sujets dans le devoir qu’en les privant de ce qui rend la vie agréable, qu’il reconnaisse son incapacité à gouverner des gens libres, ou, mieux encore, qu’il se corrige de sa paresse et de son orgueil, car c’est généralement à cause de ces deux défauts qu’il est méprisé ou haï de son peuple; qu’il vive de son domaine personnel, sans faire de mal à personne; qu’il règle sa dépense sur ses revenus; qu’il tienne le mal en bride en prévenant les crimes par les bon principes qu’il aura donné à son peuple plutôt qu’en les punissant après les avoir laissés proliférer; qu’il ne remette pas en vigueur des lois tombées en désuétude […]
Thomas More
[In Thomas More, L’utopie ou le traité de la meilleure forme de gouvernement, éd. Flammarion-coll. Garnier Flammarion, Paris, 1987 ; pp. 121- 123.]
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