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Le blog Citoyen

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POST TENEBRAS LUX


Ce que révèle l’assassinat politique de l’opposant tunisien Chokri Belaïd

Publié par Karim R'Bati sur 9 Février 2013, 00:18am

Catégories : #LIBRE OPINION

Le matin du mercredi 6 février 2013 à Tunis, Chokri Belaïd, le secrétaire général du « Parti des Patriotes Démocrates » (parti d’opposition), venait d’entrer dans sa voiture et s’apprêtait à se rendre à son lieu de travail, quand il a été intercepté, selon des témoins oculaires, par un individu en tenue bédouine, la tête et le visage encapuchonnés, qui lui tira dessus plusieurs balles à bout portant. Selon les premiers indices, il semblerait que le parti islamiste d'Ennahda au pouvoir soit dans le coup, qu’il aurait d’une façon ou d’une autre donné son feu vert tacite, à son aile radicale, pour l’élimination de son redoutable adversaire laïque ; c’est du moins la version des faits qui circulait dès les premiers instants dans les réseaux sociaux. En tout cas, la responsabilité morale du parti Ennahda est sérieusement engagée dans ce crime crapuleux et sa réputation suffisamment écornée pour que son chef, Rached Ghannouchi, se sente obligé de publier un communique officiel, depuis Londres, dans lequel il « condamne fortement le crime haineux qui a visé M.Belaïd », appelant les Tunisiens « à l’unité et à la vigilance contre ceux qui cherchent à plonger le pays dans la violence. » (1)

 Le moment est grave et, de toute évidence, il s’agit d’un assassinat politique où tous les indices mènent à un coupable désigné : la « Ligue de Protection de la Révolution » (LPR), qui n’est autre que le bras armé du parti islamiste au pouvoir. Il convient de rappeler que Chokri Belaïd a déjà été menacé par les fanatiques de cette milice, en raison de son combat acharné contre le fondamentalisme religieux. Avocat chevronné et militant des droits de l’homme du temps du dictateur déchu, il est aussi connu pour son franc-parler de politicien hors paire et de démocrate laïc, engagé contre l’islamisation rampante de la société tunisienne et, en particulier, contre l’embrigadement jihadiste de sa jeunesse. Plus grave encore, il n’a pas hésité à dénoncer, à cet effet, l’existence de véritables camps d’entrainement jihadistes dans le sud tunisien ; des camps qui seraient supervisés, selon ses propos, par des extrémistes tunisiens, financés par des capitaux qataris et encadrés par des services secrets étrangers, le tout pour les besoins de la guerre civile en Syrie (2). Enfin, la veille de son assassinat, il a encore dénoncé, sur un plateau de télévision, ce qu’il a qualifié de « stratégie méthodique d’explosion de la violence », prônée selon lui par le mouvement Ennahda (3).

Quelques soient les lectures que l’on puisse faire de cet assassinat politique, le premier depuis la chute du dictateur Ben Ali, rien ne vaut l’analyse incisive que Chokri Belaïd avait faite de son vivant. Il expliquait, il n’y a pas longtemps sur la chaîne Nejma, que la violence des groupuscules fanatiques n’est pas due aux agissements de quelques petites bandes isolées, elle est, disait-il, le fait d’une « stratégie méthodique, centralisée, ayant des ramifications dans plusieurs provinces [tunisiennes] et dirigée contre diverses forces politiques [adverses] » (4) (selon notre traduction). Autrement dit, nous avons affaire au même schéma conflictuel qu’on retrouve partout ailleurs dans le monde arabe et, en particulier, en Afrique du nord. Ce schéma confronte, à quelques nuances près, les mêmes forces politiques antagonistes : d’une part, celles conservatrices, détentrices du pouvoir et se revendiquant de l’Islam ou exerçant un monopole de fait sur cette religion et, d’autre, l’opposition démocratique et laïque, qui continue de payer, jusqu’à nos jours, un lourd tribut dans les luttes des peuples du monde (dit) arabe contre les dictatures en place ou en devenir.

Contrairement à certaines idées reçues, véhiculées ici ou là, les violences des Salafistes sont loin d’être isolées ; elles profitent toujours, directement ou indirectement, aux mêmes forces politiques et sont animées par les mêmes motivations : il s’agit d’instiller la peur dans les esprits et de semer la terreur dans la société pour l’amener à revoir à la baisse ses aspirations démocratiques. Curieusement, ces agissements permettent aux régimes en place de palier leur déficit ou leur défaut en légitimité démocratique par l’illusion d’une permanente légitimité religieuse, présentée comme modérée, ce qui a pour effet de les imposer dans les esprits en tant que rempart contre l’extrémisme religieux. Inutile d’ajouter que, devant un tel brouillage des repères, les aspirations démocratiques tendent à se replier sur elles-mêmes, pour céder la place au besoin urgent de sécurité et c’est dans ces climats d’incertitude que les régimes autocratiques s’affirment, auprès de leurs peuples, en tant que valeur refuge. 

La même dynamique encouragée en sous-main par les Islamistes d’Ennahda, nous l’avons vu à l’œuvre en Algérie, en Égypte et, dans une certaine mesure, au Maroc ; ce qui change, c’est son intensité, ce qui change, c’est surtout le doigté et le savoir-faire manipulatoire du régime en place. Partout, dans ces pays, existe des groupuscules extrémistes, connus des services, des mouvances salafistes occasionnellement lâchées dans la nature, avant que n’intervienne le régime pour rétablir l'ordre ou plutôt son ordre. Quels que soient les motivations ou les idéologies de circonstance de ces groupuscules extrémistes, force est de constater que leurs agissements finissent toujours par profiter aux mêmes acteurs politiques, faisant ainsi de ces derniers des remparts contre l’épouvantail du fondamentalisme religieux ou contre celui du terrorisme.

Mêmes les médias et les gouvernements occidentaux cèdent à la panique. Prisonniers de leurs grilles de lectures, allergiques à tout ce qui touche à l’Islam en général et au terrorisme islamique en particulier, ils apportent vite leur soutien inconditionnel à ces régimes autocratiques, préférant de loin des dictatures tyranniques mais stables, veillant sur leurs intérêts, plutôt que d’hypothétiques démocraties fragiles ou en devenir instable. Ce faisant, ils tournent le dos aux démocrates laïques, ignorant au passage ou feignant d’ignorer l'espèce de « machine infernale » alimentée par ces dictatures, pour brouiller les cartes et parasiter, de ce fait, les légitimes aspirations démocratiques de leurs peuples.

Karim R’Bati : Zurich, le 8 février 2013.

1.- http://www.lemonde.fr/tunisie/article/2013/02/06/mort-de-l-opposant-tunisien-chokri-belaid-on-a-assassine-un-democrate_1827859_1466522.html

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