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Le blog Citoyen

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POST TENEBRAS LUX


Le moineau libéré (Impressions d’Égypte)

Publié par Karim R'Bati sur 21 Février 2013, 15:25pm

Catégories : #ESSAIS

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De retour de l’Égypte où je fis la rencontre de ces authentiques Égyptiens du Ça‘îd (الصَّعيد), identifiables à leur teint basané sous l’effet d’Aton (le Dieu- Soleil des Pharaons), j'en ai gardé le souvenir vivace de conversations lumineuses et d’avis aussi divergents que contrastés sur la révolution, sur « le frère Morsi » et sur les récalcitrants de la place Tahrir, dont les motivations ne sont pas toujours comprises par les gens simples et laborieux du sud ! Révolutionnaire ou pas, l’Égyptien moyen reste accueillant en toutes circonstances, chaleureux de nature et souvent d’humeur facétieuse. Ceux, en tout cas, que j’ai rencontré m’ont usé par leur politesse légendaire ou, devrais-je dire, par ces étonnantes formes de vouvoiement qui n’existent pas chez nous : des « Hadretak » par-ci, des « Ya Bacha » par-là, des « Ya Bih », des « Sa‘adtak » et autres « Afandi ».
Il y a à peine quelques jours, j’étais parti très tôt le matin, cinq heure de routes cahoteuses et de pistes improbables, à la découverte de l’Égypte des Pharaons : Louxor, le temple de Karnak, les colosses de Memnos, la vallée des Reines, le temple d'Hatchepsout (XVIIIe dynastie), une des rares Pharaonnes qui, soit dit en passant, usurpa le pouvoir royal par la force. Elle régna entre l’an 1504 et l’an 1480 avant J-C. Enfin, une croisière sur le Nil vers Assouan et retour. Ce fut une de ces expériences inouïes qui vous met en contact direct avec le souffle de l’Égypte éternelle : celle des 7000 ans d’histoire et de pas moins de 30 % des vestiges de l’ancien monde, sans compter les fouilles archéologiques qui n’ont pas livré tous leurs secrets et, surtout, les trésors des musées et, notamment, ceux pillés par la France et la Grande Bretagne au temps des colonies et qui n’ont pas été restitué depuis lors au peuple égyptien. Bref, une de ces grandes civilisations de l’Antiquité, qui a connu ses heures de gloire à des époques reculées durant lesquelles l’homme européen vivait encore sur les arbres ou dans les cavernes (à vérifier !)

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[Temple d’Hatchepsout, Louxor]

Pourtant, s’il en restera une seule image de ce voyage mémorable, ce serait sans doute cette belle parabole au travers de laquelle Mahmoud, l’ami égyptien, tenta de me représenter la situation du peuple de son pays : depuis la chute du dictateur Moubarak, me disait-il en substance, les Égyptiens sont comme ce moineau qui n’a jamais connu la liberté, au point qu’il a presque perdu l’usage de ses ailes. Aussi, devant la porte subitement entrouverte de sa cage, il hésite à en sortir, met un pied dehors, puis un autre, avant de revenir à son familier et non moins faussement rassurant lieu de captivité. Mais la porte ne se refermera plus, il n’y a plus de porte à vrai dire, plus d’obstacle. Ainsi, peu à peu, notre moineau finira-il par déployer ses ailes et découvrira-t-il, non sans quelques frayeurs, le goût et le sens de la liberté.
Cette image vaut, à elle seule, tous les discours sur l’Égypte de l’ère post Moubarak. Combien même serait-elle à mille lieues, pensais-je, de la situation incertaine du peuple marocain, elle n’en éclaire pas moins d’un jour nouveau l’impasse où il se trouve. Elle est même précieuse pour qui sait voir, dans la mesure où elle apporte un cinglant désaveu contre une certaine idée reçue sur la supposée inaptitude des peuples du monde dit arabe à la démocratie et sur leur prétendu besoin de soumission. C’est que les peuples, comme les moineaux, sont nés libres, pour vivre en totale liberté ; tant qu’ils n’essayeront pas d’aller au-devant de leur instinct inné, ils ne comprendront jamais le sens du mot liberté et ne sauront jamais ce que l’idée de «voler de ses propres ailes» peut vouloir dire. En tous les cas, aucune doctrine politique ne justifie leur asservissement, aucune religion ni aucune prétention autocratique ne saurait légitimer l’exercice d’une quelconque tutelle sur eux.

 

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On en est peut-être loin ou proches, on n’en sait rien pour le moment. Ce qui est évident, c’est que l’horizon - bien que semé d’embuches - est désormais dégagé, il est, pourrait-je dire, devenu plus visible à la faveur du printemps des peuples d’Afrique du nord, en particulier pour ceux qui ont eu le courage d’ouvrir leurs yeux sur la réalité de leurs régimes despotiques et de les affronter ainsi avec cette espèce d’intelligence collective, ce génie héroïque qui change le cours de l’histoire. Quant au peuple marocain, à défaut de se hisser à la hauteur de son rendez-vous avec l’histoire et faute de se libérer de sa captivité, il s’est vu pour ainsi dire imposé l’offre de revêtement des grillages rouillés de la cage où, tel un triste moineau, il est maintenu prisonnier de sa servitude. Une imposture de plus qu’il aurait accepté, les yeux fermés, avec le score nord-coréen de 98.50 %. Serait-ce l’imposture de trop ? Seul l’avenir nous le dira.

Karim R’Bati, le 21 février 2013

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