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Le blog Citoyen

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POST TENEBRAS LUX


Le Cogito d’un illustre conférencier marocain

Publié par Karim R'Bati sur 16 Janvier 2013, 22:03pm

Catégories : #CHRONIQUES

Dans le monde de l’édition et, plus précisément, dans le domaine des nouvelles technologies, il existe des publications sérieuses qui pointent les limites du logiciel PowerPoint. Cette invention de Microsoft est souvent utilisée dans les conseils d’administration des banques, dans les entreprises ou, encore, dans les réunions des états-majors, à des fins d’économie de temps ou de simplification des contenus, ce qui est fort appréciable dans des contextes d’urgence ou de concurrence acharnée. Pour autant, le talent d’Achille de ce logiciel réside essentiellement dans le fait qu’il sert aussi à faire illusion, à réduire ainsi les complexités du monde ou celles des marchés à des courbes, des tableaux, des graphiques et autres visuels aussi séduisants que chatoyants de couleurs, mais qui ne permettent pas pour autant à la pensée de gagner ni en profondeur, ni en complexité. Selon Franck Frommer, auteur de « La pensée PowerPoint : enquête sur un logiciel qui rend stupide », un des effets de cet outil réside dans [ le formatage par le bas de la pensée auquel ce logiciel contribue, en créant les conditions d'une certaine analphabétisation.]
 Souvent, il en résulte des prises de décisions erronées, voire catastrophiques, comme ce fut le cas dans le désastre de la navette spéciale Columbia où les ingénieurs de la Nasa avaient fait trop confiance en ce logiciel. Même les universités n’ont pas pu échapper à ce mode de présentation. Je me souviens, dans le temps, que l’on devait suivre des conférences, les yeux rivés sur les intervenants, munis de blocs-notes et l’on devait surtout faire montre d’un grand effort de concentration. Aujourd’hui, avec l’avènement de PowerPoint, tout cet effort d’écoute active a fini par être remplacé, peu à peu, par le filtre d’un média, véhiculant des contenus, le plus souvent simplistes et d’une naïveté confondante. Autant dire, des « prêts-à-penser » qui rassurent ceux qui n’ont rien compris et donnent l’illusion d’avoir tout compris à ceux qui n’ont pu capter que quelques bribes.
 C’est par cette prison de la pensée, par cet outil qui met en berne tout effort de formulation d’idées complexes sur des problématiques aussi pointues que le conflit malien ou les enjeux cruciaux de la géopolitique du monde arabe, qu’Al-Fassi Al-Fihri Junior a axé son intervention lors du «New York Forum of Africa», consacré au thème «sécurité et gouvernance», forum qui a eu lieu en juin 2012 à Libreville, au Gabon. Passées les effets de styles et autres artifices, servant à introduire le sujet de son intervention, dont, notamment,  son auto-présentation en tant que : «Brahim Fassi Fihri, président-fondateur de l’Institut Amadeus, qui est l’un des principales (sic) "think tank" en Afrique et dans le monde arabe», le jeune homme de bonne famille, fils de qui vous savez, s’est lancé dans une explication pour le moins scolaire des enjeux géopolitiques des menaces à la sécurité sur la bande sahélo-malienne. Tout devait se dérouler comme prévu, grâce à cette prothèse cérébrale qu’est PowerPoint, surtout que le jeune homme avait pris soin de peaufiner son discours dans les moindres détails, les moindres postures, même la voix, au ton un tantinet sérieux, y a été mise à contribution ! Jusqu’à ce moment fatal où … l’impondérable advint. Un problème technique de nature obscure fit éteindre l’écran. Les ennemis du Maroc sont-ils, encore une fois, dans le coup ?
 Plus de lumière, plus de visuels et … un grand moment de solitude pour notre conférencier en herbe, qui a fini par admettre son incapacité à poursuivre son intervention en des termes surprenants : « Sans cartes, dit-il, je peux difficilement parler (!) ». Drôle de déclaration venant du président de «l’un des principales (sic) "think tank" en Afrique et dans le monde arabe», qui ne faisait, pourtant,  que résumer, selon ses propres dires,  une étude produite au sein de son «prestigieux» Institut Amadeus. Une dernière perche lui fut tendue par la modératrice du débat, la directrice Afrique de TV5 Monde, Mme Denise Epoté Durand, lui demandant s’il pouvait continuer sans les cartes. Et notre Brahim de récidiver : «C’est quand même assez difficile comme exercice, puisque l’ensemble de la présentation est basé sur ces cartes» … Temps mort, silence gêné de l’assistance et … fin en queue de poisson de l’intervention de notre «conférencier-slideur», démuni et incapable d’articuler la moindre pensée, sans l’écran PowerPoint.
 Ce n’est certainement pas de sa faute, ni de celle de tous ceux qui recourent à ce logiciel simplificateur. Comme je l’ai exposé plus haut, c’est bien, là, un des effets collatéraux de ce moyen de présentation imagée, qui tend à appauvrir la complexité conceptuelle des discours. Mais, pour autant qu’on l’utilise à bon escient, cela mériterait bien une adaptation marocaine du fameux cogito cartésien : « Je slide, donc je suis » aurait pu conclure l’illustre conférencier marocain.
 Karim R’Bati : Berne, le 15 janvier 2013
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