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POST TENEBRAS LUX


Splendeurs et misères du despote oriental : Petit essai sur le déclin des autocraties arabes

Publié par Karim R'Bati sur 4 Novembre 2011, 16:20pm

Catégories : #ESSAIS

Splendeurs et misères du despote oriental : Petit essai  sur le déclin des autocraties arabes
« L'Éloignement des pays répare en quelque sorte la trop grande proximité des temps », disait Racine[i]. S’il ait une formule qui puisse résumer éloquemment le devenir des peuples du monde dit arabe de l’avant à l’après 2011, ce serait sans doute la citation de l’illustre dramaturge français, contemporain du Roi-Soleil. On peut bien reconnaître, là, que l’éloignement géographique des pays arabes réparait en quelque sorte la trop grande proximité des destins de leurs peuples. En effet, pour des états à peine sortis de la longue nuit coloniale, confinés dans des frontières artificielles, arbitrairement tracées par les anciennes puissances tutélaires, le temps était à la réélaboration des identités nationales. Aussi, fallait-il, dès les lendemains des indépendances, délimiter les territoires, affirmer des altérités, penser des théories de la nation distinctes les unes des autres et revoir l’écriture de l’histoire pour mieux légitimer les régimes en place ; le tout, dans le but de contrebalancer en quelque sorte la trop grande similitude de populations d’Afrique du nord et du Proche- Orient (amazighes, arabes, kurdes ou autres), à cheval entre plusieurs états postcoloniaux. Or cette similitude est loin d’être l’apanage de ces populations, elle l’est en puissance pour leurs régimes autocratiques. Qu’ils soient républiques issues de coups d’états militaires ou monarchies de droit divin héritées de la colonisation ou largement favorisées par celle-ci, une chose est certaine, la proximité de toutes ces autocraties arabes résidaient essentiellement dans une égale prétention à revendiquer un semblant légitimité (historique, révolutionnaire ou religieuse). Aussi, un tel semblant de légitimité, bien qu’il ne provint d’aucune volonté populaire librement exprimée, d'aucun esprit démoctratique, tirait-il sa raison d’être d’un prétendu libre-choix des masses indifférenciées.
Au fond, la doctrine politique de ces régimes est, à peu de chose près, la même et elle correspond bien à ce que le politologue soudanais Haydar Ibrahim[ii] qualifiait de « sécuritocratie » (« الأمنقْراطِيَه »… - Al-Amnuqratiya), en référence à des structures de pouvoir caractérisées par l’hégémonie des services de renseignements, tout à la fois pléthoriques et omnipotents. Véritables cœurs des systèmes autocratiques arabes, ces services fonctionnent en réalité comme des états dans l’état, dédiés à la protection des régimes en place contre ce que ces derniers considèrent comme leurs " ennemis de l'intérieur ", c'est-à-dire leurs propres peuples : leurs oppositions, leurs intellectuels, leurs armées, jusqu’à leurs plus fidèles serviteurs, qui n’échappent pas, eux aussi, au contrôle des services de renseignements. Dans ce but, une large panoplie d’outils de contrôle est mise au service de la permanence de ces  " sécuritocraties "allant de la surveillance à la corruption et de l’intimidation à la répression. Salam Kawakibi et Bassma Kodmani, deux chercheurs qui officient dans le cadre de " l'Arab Reform Intiative " [iii], résument bien le mode de fonctionnement de ces régimes : "Les caractéristiques des systèmes sécuritaires du monde arabe ne diffèrent pas de ceux que l'Amérique latine et l'Europe de l'Est ou du sud ont connu avant leurs transitions démocratiques : rôle de bouclier entre l'état et la société, fonctionnement en circuits fermés d'appareils variant en taille et en complexité, mais dont la culture de l'impunité et le mode de fonctionnement restent les mêmes et encouragent une logique inexorable de la terreur. Si ces formidables machines de surveillance ont pour tâche première d'entretenir la peur et d'empêcher le développement de liens entre Citoyens, la peur y règne aussi à tous les niveaux" [iv] Il en a résulté une certaine idée reçue concevant ces autocraties comme étant aussi puissantes qu’immuables et ces deux attributs paraissaient d’autant plus inhérents à ces régimes, aux yeux de leurs peuples, qu’ils étaient soutenus par une sous- culture de la résignation et du fatalisme, savamment entretenue dans les interstices les plus insoupçonnables des propagandes officielles.
Or en cette année 2011, avec l’avènement du printemps arabe, c’est tout le mythe de l’immuabilité des autocraties arabes qui s’écroule d’un seul coup, emportant avec lui celui de l’omnipotence de leurs appareils sécuritaires. La chute d’abominables dictatures, comme celle de Tunisie, d’Égypte et de Libye, constitue assurément un tournant historique majeur : un événement de grande envergure, tant pour les peuples libérés que pour ceux du reste du monde arabe. Ces derniers, stupéfaits, ont appris en cette même année que ce qui relevait, il n’y a pas longtemps, de l’utopie est devenu comme par miracle un horizon possible et ce, par la seule détermination des peuples. Ce n’est donc point un hasard si le printemps démocratique des peuples débuta en Tunisie et en Égypte: deux régimes connus pour la nature particulièrement répressive de leurs appareils sécuritaires. De même, il n’est point fortuit que la vague des contestations populaires se soit propagée de la Lybie à la Syrie, du Maroc au Bahreïn et du Yémen à la Jordanie. Dans cette mosaïque de peuples divers et variés, mais qui se revendiquent  tous d’un même héritage culturel, d’une même aspiration à la justice et à la dignité, une même volonté de libération du joug dictatorial s’est partout exprimée en parfaite simultanéité. Et s’il en a été ainsi, c’est parce qu’une certaine empathie s’est pour ainsi dire opérée entre ces différents peuples à la faveur d’une prodigieuse accélération de l’histoire. En l’espace de quelques semaines, par un effet de contraste saisissant entre deux séquences temporelles contigües (celle des splendeurs à peine révolues des dictateurs déchus et celle de leurs misères présentes), un fort sentiment d’identification s’est établi entre ces peuples séparés par la géographie, mais, pour une fois, réunis par la temporalité de leurs mobilisations, à la lisière de deux époque : la longue nuit despotique qui s’achève et l’aube d’une ère nouvelle qui s’annonce. Comme si l’espace et le temps s’incurvaient, inversant pour ainsi dire la célèbre formule de Racine. Du coup, c’est plutôt la trop grande proximité des temps révolutionnaires qui répare, ici, l’éloignement des pays et des peuples.
Il semblerait même que cette prodigieuse proximité des temps de ces révolutions ne soit pas seulement réparatrice de l’éloignement des peuples, elle l’est autant pour les régimes autocratiques encore en place. Ces derniers - à l’exception notoire des pays libérés de leurs dictateurs - ont plutôt eu tendance à revendiquer, chacun dans son petit domaine, une spécificité nationale ou culturelle qui le distinguerait des autres régimes arabes. Dans ce contexte, on a pu assister au spectacle de dictatures aux aboies, engagées dans une course contre la montre pour tenter de conjurer le sort qui les menace : qui par des réformettes de façade destinées à désamorcer les foyers de crises pour mieux préserver l’essentiel, qui par de vagues promesses de réformes, qui par un subtil dosage de la politique de la carotte et du bâton, qui, enfin, par une répression féroce de son peuple. Mais, jusqu’à présent, aucune de ces dictatures n’a eu ni l’intelligence ni le courage politiques de répondre favorablement aux aspirations légitimes de son peuple.
Pourtant, il va falloir s’y résoudre, car la donne a radicalement changé : les peuples du monde arabe se sont éveillés et plus jamais rien ne sera plus comme avant. Ils veulent être les " acteurs de leur destin " (Alain Gresh)[v] et, en raison de cette mutation fondamentale, il y’aura toujours un avant et un après 2011 et c’est bien, là, la grande leçon à retenir de ce printemps démocratique d'Afrique du nord et du Proche-Orient. Désormais, nous-nous acheminons, peut être difficilement, mais coûte que coûte, vers une nouvelle ère, celles des peuples libres et souverains, celle où aucun peuple ne tolérera d’être gouverné, contre sa volonté, par un despote illégitime. Dans l’intervalle, alors que les ressorts de la peur ont changé de camp et que les Citoyens occupent, de plus en plus, les espaces publics au nom de leurs aspirations démocratiques, nul ne devra être leurré par l’illusion des splendeurs orientales qu’exhibe plus d’un autocrate arabe pour subjuguer ses " Sujets ".  Car derrière celles-ci se cache bien, pour qui sait voir, les misères de son peuple, mais surtout les siennes propres, qui ne tarderont pas à s’étaler au grand jour dès que ce peuple décide d’assumer pleinement son destin et d’affirmer sa volonté. 
Karim R'Bati

 

[i] Jean Racine, Théâtre complet (seconde préface de Bajazet) . Édition de Jacques Morel et Alain Viala, Classique Garnier.

[ii] Cf. Haydar Ibrahim, « Al-amnuqratiya fi Ssoudân», in Ouvrage collectif sur les « Sécuritocraties », ARI, à paraître en novembre 2011.

[iv] Salam Kawakibi et Bassma Kodmani, «Les armées, le peuple et les autocrates», in Le Monde diplomatique, mars 2011. http://www.monde-diplomatique.fr/2011/03/KAWAKIBI/20242

[v] Alain Gresh, «Ce que change le réveil arabe», Le Monde diplomatique, n° mars 2011.

http://www.monde-diplomatique.fr/2011/03/GRESH/20239

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