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Le blog Citoyen

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POST TENEBRAS LUX


Vie et mort de la civilisation arabo-musulmane

Publié par Karim R'Bati sur 7 Juin 2012, 13:02pm

Catégories : #ESSAIS

Pourquoi la civilisation islamique, appelée aussi arabo-musulmane, est-elle morte ou, pour le moins, inerte ? Voilà une question lancinante à laquelle il n'est pas évident d'apporter une réponse définitive. Elle m'a souvent été posée, telle une question rhétorique dernière laquelle il fallait toujours m’attendre, de la part de mes interlocuteurs, à une réponse dans le registre «guerres des civilisations». Pour faire court, il s'agit de rappeler cette sempiternelle histoire des guerres qui se sont déroulées entre la sphère occidentale et le monde de l’Islam, depuis la Grèce antique à nos jours : des guerres médiques aux «conquêtes» musulmanes et des croisades à la colonisation. Inutile d’ajouter qu’une telle histoire conflictuelle aurait tourné à l'avantage de l’Occident !
Certes, les faits sont là, mais j'avoue que c’est une réponse plutôt partielle qui, je tiens à le préciser, ne me satisfait pas. Et pour cause, elle  revient à expliquer le déclin de la civilisation islamique par des facteurs exogènes et ça rappelle drôlement la vieille rengaine de «la faute aux autres». En vérité, le monde occidental sous sa configuration actuelle n’existerait pas ou, s’il existait, n’aurait pas le même visage sans l’élan envahisseur ou conquérant du monde islamique, mais aussi sans un certain apport, non négligeable, de ce dernier. Autrement dit, c’est dans la confrontation avec l’«Autre» que les individus, comme ces formations complexes que sont les civilisations, prennent conscience de leur(s) identité(s), leur cohésion, mais aussi de ce qui fonde leur différence avec cet «Autre».
Ce fut, en quelque sorte, l’expérience vécue par l’Europe de la «Christianias», au Moyen Âge, et c’est dans cette seule mesure que le monde de l’Islam a pu apporter sa plus grande contribution à la civilisation européenne. Or, rien de similaire ne s’était produit pour la civilisation arabo-musulmane dans son rapport avec l'Occident, pour la simple raison que celle-ci a de tout temps été trop hétérogène, trop éclectique, trop éclatée pour prétendre constituer une unité cohérente, susceptible de l'inscrire dans une trajectoire aussi homogène et aussi continue que celle qui prévaut pour la maturation des grandes civilisations : la chinoise, l’Indienne, la japonaise et l’Européenne.
 Arabes, Berbères, Persans, Mongoles, Turques, autant de peuples qui ont, à un moment ou à un autre de l’histoire, pris en charge les destinées de l’Islam avant de s’arrêter net devant le même roc, la même limite, la même impasse : celle du poids de la tradition, de l’Islam politique ou, pour le dire autrement, devant cette manie de l’«homo islamicus» à se retourner indéfiniment vers un certain passé, mythifié qui plus est, pour trouver des réponses à des problématiques modernes ou, dans le pire des cas, pour tenter de justifier ses dérives autocratiques, rétrogrades ou obscurantistes, au nom de l’Islam.
 À cette civilisation, qu’on peut aujourd’hui qualifier d'inerte, il aura essentiellement manqué des valeurs communes : des valeurs séculières comme la liberté de pensée,  l'amour de la liberté, le goût de l'innovation,  le culte de l’individu ... et surtout une séparation claire et sans ambigüité entre le domaine du spirituel et celui du religieux. Autant de conditions préalables qui auraient certainement permis au monde de l’Islam de franchir le pas décisif qui l’aurait installé définitivement dans le concert des grandes civilisations. À défaut de ces conditions préalables, il faut admettre cette évidence : jamais une secte ou une religion - fussent-elles  hégémoniques - n’ont été suffisantes pour la formation de ces édifices, complexes et laborieux, que sont les civilisations.
Tout compte fait, de lourds facteurs d’inertie ont de tout temps été à l'œuvre dans le corps malade de la civilisation arabo-islamique : les schismes religieux, les prétentions au Califat, le poids des fondamentalismes salafistes, la maladie du despotisme oriental, la prévalence des clans, de la tribu et de la race, le charlatanisme religieux, les fables chérifiennes, etc. Autant de gênes autodestructeurs qui ont toujours été trop importants, trop prégnants, trop violents pour favoriser une quelconque velléité de développement harmonieux et sans discontinuité, dans l'espace et dans le temps, d'une possible civilisation islamique apaisée envers elle-même, tout en étant ouverte sur les autres.
 Karim R’Bati : Estavayer-le-Lac (Suisse), le 7 juin 2012
 ***
ANNEXES :
Illustration 1 : Miniature datant de (1237 ap. J.-C.) d'Al-Wâsitî illustrant Al-Maqama 22 (Séance XXII) de Maqamat Al-Hariri (1054 - 1122 ap. J.-C.) : elle représente un ensemble de personnes sur un bateau naviguant sur l'Euphrate. Ces voyageurs sont en mission consistant à recueillir les impôts auprès de certaines régions de l'Iraq.
Illustration 2 : Calligraphie de Hassan Massoudy "Ouhibbou Zahrat Bati-at oul-id-har" ("J'aime une fleur lente à s'épanouir" - Gentil Bernard)
Illustration 3 : Scène publique d’application stricte de la Charia à Djakarta (Indonésie).
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